Il est des jours où vous vous retrouvez dans un monde hostile. Le 22 juillet était pour moi l’un de ces jours : jambes en coton, sommeil insuffisant, pas de carte et une nouvelle application vélo (Bikemap) que j’ai un peu de peine à maîtriser. Il fait gris en partant de Copenhague et on annonce de la pluie à partir de 16 heures.
Sortir d’une grande ville est toujours une épreuve pour le cycliste. Il n’y pas souvent d’indications utiles (on indique des quartiers ou des monuments mais pas de direction générale pour les vélos); le trafic est dense et stressant; il est difficile de faire demi-tour quand on se trompe. Bref on a intérêt à bien étudier l’itinéraire avant de s’embarquer dans le flot de la circulation. C’est ce que j’ai fait. J’ai pris un itinéraire simple, pas forcément le plus court mais au moins en le suivant je ne tromperai pas. Et puis, comme c’est un jour comme ça, je décide au beau milieu du parcours d’improviser, sans véritable raison sauf mon goût pour la liberté, ma confiance dans mon sens de l’orientation, mon orgueil et une propension au rejet des voies toute tracées. Cela nous permet de passer à côté d’un très beau mur d’escalade (qui fait fort rêver Anne) et de découvrir des quartiers nouveaux de Copenhague.
On sort de Copenhague certes, mais après, pour retrouver l’Euro Route de la Baltique, c’est la galère. Dans ces zones à la circonférence des villes, zébrées d’autoroutes, de chemins de fer, de voies rapides, de canaux, d’aéroports et des zoning commerciaux, le sens de l’orientation ne suffit pas. Quand je retrouve l’Euro Route n°10, je la prends à contre-sens. Anne essaie de me faire ralentir pour réfléchir mais je résiste, je lui dit “fais moi confiance”; C’est vrai quoi, un coéquipier doit vous soutenir pas mettre en doute votre savoir-faire. J’ai trop envie de m’éloigner à tout prix de cet environnement déshumanisé. Je pédale même plus vite pour m’en écarter à la force de mes mollets agacés. J’entends vaguement ses appels à la raison derrière moi mais je passe outre jusqu’au moment où je dois bien me rendre compte, quand on en arrive à longer un autoroute avec des indications très claires pour les voitures, que je reviens à toute allure vers Copenhague. Il faut évidemment une certaine grandeur d’âme pour passer au dessus des commentaires désabusés que le coéquipier pourrait faire à ce moment. Mais j’ai une excellente coéquipière, fine mouche, qui comprend que c’est à ce moment précis qu’il vaut mieux éviter les commentaires acides. Je lui suis très reconnaissant de ce silence opportun qui me laisse seul en face de mes blessures d’orgueil. Il faut donc faire marche arrière et reprendre là où je me suis trompé et quand on y arrive, on comprend. Les indications sont trompeuses et il nous faut l’aide spontanée et bienveillante d’une vieille dame pour nous indiquer la suite du chemin. Bref, on finit par sortir de Copenhague, ensemble, mais un peu silencieux.
Ce détour qui nous coûte une heure d’hésitations et d’allers et retours, ne contribue pas à me détendre. Aujourd’hui, je prends un peu le vélo en grippe. Je serais bien resté davantage à Copenhague à faire rien et me remettre en selle me demande un peu de volonté. De plus, il fait gris et il pleuvine par moments. Nous longeons de très beaux paysages avec de vastes vues sur le détroit de l’Oresund ou sur de grands lacs intérieurs. Un peu en retrait, de très belles maisons avec de grandes baies vitrées donnant sur la campagne, sur le mer ou les lacs et sur l’immense ciel de l’ile de Seeland. Si c’est techniquement une île, elle n’en donne pas vraiment l’impression vu sa grandeur (7.000 km2). La singularité du Danemark est que ce pays est composé d’une péninsule, le Jutland (Jylland) attachée au continent, par l’Allemagne par le land du Schleswig Holstein), et d’un archipel de 443 îles dont moins d’une centaine sont habitées. La mer n’est jamais loin au Danemark.
Au fur et à mesure de nos parcours, nous sommes impressionnés par le Danish way of life, tel qu’on peut le ressentir en voyant les maisons et leurs aménagements et l’architecture, les jardins extrêmement fleuris, les aménagements collectifs très accueillants et en parfait état d’entretien, les parcs, les voiries, la gastronomie raffinée, les petites boulangeries pâtisseries et leur coins cafés qui ressemblent davantage à des salons où l’on peut prendre le temps de vivre. Les églises sont toutes pimpantes, entourées de petits cimetières qui ressemblent à des jardins, souvent en dehors des villages comme pour mettre en évidence la place à part de la spiritualité. L’environnement est confortable, harmonieux et cohérent. On sent un souci constant et partagé de l’art du vivre ensemble.
Je dois admettre que j’ai moins d’énergie. J’aspire à l’étape d’autant que la bruine s’est transformée en pluie. A trois heures, alors que la pluie s’intensifie, je recherche en catastrophe un hébergement à proximité, et la seule possibilité est un modeste hôtel dans la petite ville de Køge, où je trouve une chambre de 12 m² au dernier étage, dernière possibilité selon Booking. com. Heureusement la réceptionniste nous apprend qu’en réalité il y a d’autres chambres libres. Après un petit tour en ville nous dînons dans le restaurant le plus proche d’un burger avec frites. Décidément, la journée finit comme elle a commencé, médiocre.