Jour 17 – De Cléon d’Andran à Puyméras

Mercredi 3 juillet 2019
Cléon d’Andran / Charols / La Bégude-de-Mazengue / Aleyrac / Salles-sous-Bois / Grignan / Grillon / Valréas / Vinsobres / Mirabelles-aux-Baronnies / Puyméras

Petite étape ce matin, 51 km. Dernière étape aussi puisque je suis attendu en fin de journée par mon frère et ma belle-sœur à Puyméras. Ma blonde m’y rejoindra en fin de journée en voiture. Je me propose donc de passer une journée en roue libre. Je converse longuement avec mon hôte (hôte est un terme polysémique qui désigne aussi bien celui qui reçoit que celui qui est reçu, alors qu’hôtesse ne désigne que la femme qui reçoit. Richesse ou singularité du parler français…).

C’est un homme du Nord qui, après une carrière bien remplie comme directeur de centre culturel, a décidé de venir terminer son parcours professionnel au calme, dans le sud. Il a acheté une grande et belle demeure en 2011. Après trois années d’exploitation, il a brûlé ses économies et est sur le point de fermer. Il se résous à s’inscrire chez Booking.Com, contre l’avis de sa femme. Cela l’a sauvé. “Ils me prennent 15% mais cela me donne une visibilité que je n’avais pas. Et puis, Booking, c’est carré. Pas de lézard, tout est réglé comme du papier à musique. A deux reprises, je me suis trompé et j’ai accepté des réservations que je ne pouvais pas accueillir. Booking a trouvé une solution et a immédiatement relogé les personnes. J’ai dû payer la différence. Cela m’a coûté cher : ils les ont relogé dans un château à 250 € la nuit…. Au début, je faisais de la restauration, ce qui est ma vraie passion; mais je n’ai pas tenu le coup. J’étais plus stressé que dans ma vie professionnelle antérieure. Nettoyer les chambres le matin, faire les courses pour le repas du soir, préparer les dîners, accueillir les hôtes, je n’avais plus un moment à moi. Et puis, j’ai découvert que la restauration en chambres d’hôtes avait des règles strictes. La famille est obligée de manger avec les hôtes et on ne peut accueillir au repas que des hôtes qui logent. Sinon, on devient restaurant. Ma famille appréciait peu de devoir manger avec les hôtes“. Il a donc arrêter la restauration. Nous parlons famille. Il a encore une fille de 17 ans qui vit chez lui; il a de stricts principes qui l’obligent à suivre de très près les loisirs de son rejeton. Il me parle de sa difficulté à se faire comprendre et respecter. Il me dit qu’elle ne pense qu’à quitter le foyer familial comme ses frères et sœurs. Je me représente cette petite dernière, isolée dans ce monde rural, et je ne puis m’empêcher d’éprouver une certaine sympathie pour elle que j’imagine en fin d’adolescence, rebelle et rêvant des rêves de liberté et de grande vie.

Je ne suis jamais parti aussi tard, Il est plus de 11 heures et je dois rejoindre Grignan et son château que j’ai déjà vu de loin à de nombreuses reprises. Cela doit se mériter. Il faut pour cela affronter une longue côte et dépasser Aleyrac. De nouveau, je peine sous le soleil de plomb. Je m’arrête pour regonfler les pneus en espérant rendre la montée plus légère, mais en vain. A l’approche du sommet une curieuse suite de personnages métalliques alignés comme pour une procession.


La vue porte loin en direction du massif du Vercors et de la plaine du Rhône. Sur ce col, un petit vent rafraîchit mes poumons chauffés par la montée. J’ai devant moi la perspective d’une longue descente vers Grignan. Tout est bien. Tout est beau. La vie est généreuse.

Un petit panneau annonce sur ma droite le prieuré Notre Dame La Brune. J’ai le temps, je tente le coup. Le chemin est en terre. A près 400 mètres, je commence à m’inquiéter. Je suis trop loin pour renoncer mais peut-être pas assez proche pour continuer. Je m’obstine : un chemin rocailleux part sur la droite et descend len forte déclivité. Tant pis, j’essaie. Après trois cent mètres en pente raide, je découvre les ruines, perdues dans un vallon. C’est un prieuré construit au XIIème siècle en limite ouest du diocèse de Die. Le panneau précise que les religieuses abandonnèrent, à la fin du XIVème siècle, ce site isolé sur la voie médiévale de Crest vers la Provence. Il y règne un silence absolu, n’était le concert de grillons, un peuple de fidèles murmurant et grésillant des oraisons pour le repos des âmes des religieuses enterrées dans l’église.

Ensuite, il faut remonter, c’est très très raide et mes mollets et l’assistance électrique viennent avec peine à bout de la colline. Je me laisse ensuite glisser vers Grignan dans le parfum des lavandes qui bordent la route. Je pense faire une pause à Grignan et m’arrêter au château, résidence de la fille de Madame de Sévigné avec laquelle elle entretint une correspondance célèbre.

Proust n’est jamais loin de mes pensées. La Recherche du Temps Perdu est truffée de références à la correspondance de madame de Sévigné. La grand’mère du narrateur ne se sépare jamais d’un tome de ses Lettres et d’un autre des Mémoires de Mme de Beausergent (ouvrage fictionnel qui n’existe que par la puissance imaginative de Proust). En réponse à la réflexion de Mme de Villeparisis (Comment votre fille vous écrit tous les jours ? Mais qu’est-ce que vous pouvez trouver à vous dire!) le narrateur écrit: Ma grand’mère se tut, mais on peut croire que ce fut par dédain, elle qui répétait pour maman les mots de Mme de Sévigné : “Dès que j’ai reçu une lettre, j’en voudrais tout à l’heure une autre, je ne respire que d’en recevoir. Peu de gens sont dignes de comprendre ce que je sens”. Et je craignais qu’elle n’appliquât à Mme de Villeparisis la conclusion : “Je ne cherche que ceux qui sont de ce petit nombre et j’évite les autres”. Plus loin, cette autre exclamation de Mme de Villeparisis : –Ah oui, vous lisez Mme de Sévigné. Je vous vois depuis le premier jour avec ses lettres (…). Est-ce que vous ne trouvez pas que c’est un peu exagéré ce souci constant de sa fille, elle en parle trop pour que ce soit bien sincère. Elle manque de naturel – Ma grand’mère trouva la discussion inutile et pour éviter d’avoir à parler de choses qu’elle aimait devant quelqu’un qui ne pouvait les comprendre, elle cacha en posant son sac sur eux, les mémoires de Madame de Beausergent. Ce que Proust aime chez Mme de Sévigné ce n’est pas le style, l’esprit ou ses descriptions des activités mondaines: Mais ma grand’mère qui était venue à celle-ci [Mme de Sévigné] par le dedans, par l’amour pour les siens, pour la nature, m’avait appris à en aimer les vraies beautés qui sont toutes autres.

A Grignan, c’est le festival de la correspondance. Les échoppes de bouquinistes bordent la rue centrale et offrent leurs étals aux touristes du troisième âge parmi lesquels, bien que faisant partie du même club, je me sens assez déplacé avec mon attelage. Un sextuor a corde joue des partitions classiques avec cette fragilité maladroite des groupes amateurs. Je m’installe sur une terrasse un peu à l’écart, pour prendre un petit verre de blanc profitant de l’air chaud, de la musique douce et de cet environnement lumineux. Tout n’est que luxe, calme et, l’alcool aidant, volupté. Je crois bien m’être un peu assoupi.

Après, il est 13h30. Le château sera pour une autre fois. Le rythme du vélo, le grand air, le soleil et la nature sont un autre monde. Il est difficile de s’en échapper pour prendre un ticket, faire la file, et découvrir un intérieur meublé, si beau soit-il, au rythme mesuré d’un groupe de visiteurs. Direction Puyméras donc, dernière étape de ce périple. Ce sera la deuxième colline a escalader. de Valréeas à Vinsobre. Je cuis sous le soleil, je n’ai plus rien à boire et j’entre à Mirabelle-aux-Baronnies dans un tabac pour implorer de remplir ma gourde. Le Gérant me regarde d’un air surpris et me suggère de me retourner. Je découvre un grand frigo rempli de bouteilles d’eau et de sodas. Soif apaisée, je reprends ma route pour les derniers km qui seront bien sûr les plus longs. Il est temps d’arriver: le pneu de ma roue arrière, déformé par la chaleur, est devenu inégal et j’ai l’impression de monter un cheval boiteux. Enfin arrivé, je retrouve ma belle-soeur et mon frère qui m’accueillent chaleureusement. Fin de ce premier parcours. Selon mon compteur, 1.228 Km, à un train de sénateur. J’ai gagné le droit de plonger dans la piscine !

One thought on “Jour 17 – De Cléon d’Andran à Puyméras

  1. Merci pour ce magnifique partage de ton aventure en tandem avec Proust.
    Les mots enchanteurs, poétiques, tragiques ou comiques créés par les neurones créatifs de tes mollets, m’ont fait voyager, admirer, rencontrer et beaucoup rire !
    À quand la suite ?
    Bonnes retrouvailles à Puyméras.

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